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- Recherches -

Isatis

(2013)

Le poème m’ouvrait des pistes intéressantes comme les thèmes du camouflage, du visible et de l’invisible, du caché et du montré. Thèmes que je trouve très pertinent dans ce poème car on ne voit que ce que Prévert nous permet de voir.

 

Mais je voulais surtout rebondir sur le potentiel graphique que m’offrait Prévert : un renard blanc sur fond de neige. Un concept qui m’a immédiatement fait penser au Carré blanc sur fond blanc de Malevitch.

Isatis était un projet que j'ai présenté pour France 3 lors du concours En sortant de l'école.

Chaque participant devait choisir une poésie de Jacques Prévert parmi une liste non-exhaustive et en proposer une adaptation sous la forme d'un court-métrage.

 

Isatis s'inspire du poème Les Prodiges de la Liberté, ci-dessous :

 

Entre les dents d'un piège

La patte d'un renard blanc

Et du sang sur la neige

Le sang du renard blanc

Et des traces sur la neige

Les traces du renard blanc

Qui s'enfuit sur trois pattes

Dans le soleil couchant

Avec entre les dents

Un lièvre encore vivant. 

                 -Jacques Prévert.

 

 

 

J’ai donc opté pour le parti-pris suivant : le renard devrait se confondre avec les arrière-plans enneigés.

Il ne fallait donc pas lui donner de contour tracé au noir comme on peut le voir dans beaucoup de dessins animés, sinon l’esthétique du camouflage ne fonctionnerait pas à l’écran. La forme de l’animal devait être discernable uniquement grâce à son découpage avec les décors. Par conséquent, j’ai également banni le traitement coloré de l’animal et travaillé sur un graphisme minimaliste.

L’idée m’est alors venue de représenter le renard sous la forme d’une silhouette blanche aux contours très soignés et aisément reconnaissable qui, en passant sur un fond de neige blanche, se perdrait totalement puis réapparaitrait selon les éléments du décor qui passerait en arrière-plan. Le concept était séduisant car il favorisait la déambulation du personnage et de possibles travellings sur de longues bandes de décors.

Mais au cinéma, il faut donner à voir. Je me suis vite rendu compte que le public se lasserait de constamment perdre de vue le personnage principal lorsque celui-ci passerait devant un pan de neige. Il fallait donc trouver un moyen d’identifier et de trouver ce renard du premier coup d’œil tout en conservant son camouflage. La solution se résumait à deux éléments qui serviraient de repère : les empreintes de pas dans la neige et les yeux du renard. Ces deux éléments, combinés l’un à l’autre apporteraient de la visibilité à mon personnage, sans nuire à son invisibilité naturelle.

De plus, l’ajout des yeux à l’animal apportait une dimension plus émotionnelle et plus intime.  Etant donné que le court-métrage est destiné à un public jeunesse, je trouvais essentiel que celui-ci puisse s’identifier et ressentir de l’empathie pour le renard. Donner au renard un regard permettrait de créer cette empathie et de jouer sur les gros plans et les plans subjectifs pour renforcer l’identification au personnage, mais aussi d’amener le spectateur à deviner les pensées du renard, ses émotions, car « les yeux sont les fenêtres de l’âme ».

 

Le projet a été reçu très positivement, mais pour faire partie des 30 étudiants préselectionnés au concours, on me força à faire un choix entre approfondir mon concept ou produire une seconde histoire parmi quatre poèmes qui n'avaient pas été pris par les étudiants. Je ne sais pas si j'étais le seul dans cette situation, mais apparement, Les prodiges de la liberté avait déjà été pris par un, voir plusieurs, autre(s) concurrent(s) qui avaient validé cette première épreuve de sélection. Pour me démarquer et montrer que je n'avais pas peur de travailler sur une nouvelle adaptation, je me suis lancé sur un second projet de métrage toujours adapté d'un poème de Prévert : Chanson pour les enfants, l'hiver.

 

Dans la nuit de l'hiver

Galope un grand homme blanc.

C'est un bonhomme de neige

Avec une pipe en bois,

Un grand bonhomme de neige

Poursuivi par le froid.

Il arrive au village.

Voyant de la lumière

Le voilà rassuré.

Dans une petite maison

Il entre sans frapper,

Et pour se réchauffer,

S'assoit sur le poêle rouge,

Et d'un coup disparaît

Ne laissant que sa pipe

Au milieu d'une flaque d'eau,

Ne laissant que sa pipe

Et puis son vieux chapeau.

 

-Jacques Prévert

 

 

 

 

 

 

 

 

Je m'étais attaché à cette seconde adaptation car c’est un poème qui a traversé ma vie de nombreuses fois. Que ce soit lors de ma petite enfance où j’étais en âge de la réciter ou lorsque j’aidais mon petit frère à l’apprendre. De plus, parmi les quatre poèmes proposés, c’est celui qui m’avait le plus attiré par son potentiel de réinterprétation.

Et mon véritable travail sur ce poème a été d’interpréter cette drôle d’histoire d’un bonhomme de neige qui cherche à se réchauffer. Ce qui peut paraître absurde de prime abord car, enfant, je me souviens d’avoir très mal réagit à ce poème car il défiait ma toute jeune logique : un bonhomme de neige est fait de glace, d’eau gelée, il ne va pas se réchauffer sinon il meurt !

 

Je ne souhaitais surtout pas travailler l’adaptation de ce poème comme une illustration fidèle avec un bonhomme de neige qui se réchauffe sur un poêle. Ça ne serait pas rendre hommage à Prévert et à sa verve engagée, et plus important : ça n’apporterait rien aux enfants. Selon moi, un film destiné aux enfants ne doit pas être un simple divertissement sans fond, il doit avoir un scénario cohérent et construit et doit faire passer un message, sensibiliser les jeunes générations à des sujets qui soient à leur portée et surtout ne pas les cantonner à un univers « tout sucre tout miel ».

C’est pourquoi dans mon interprétation du poème de Jacques Prévert, j’ai volontairement choisi de traiter la situation d’un vagabond dans la taïga, poursuivi par un froid anthropomorphe et cherchant à rejoindre un hameau pour se réchauffer. L'idée de donner le rôle du bonhomme de neige à un "sans-abri" m’est venue en cherchant un sens au poème de Prévert. Je peux me tromper ou mal interpréter ce poème qui peut sembler anodin, mais connaissant le caractère engagé de Prévert, il m’était difficile de ne pas en venir à son attachement aux problèmes de société de son époque. Et je pense que le cas des sans-abri était un problème tout aussi préoccupant pour son époque qu’à l’heure actuelle.

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© Loïc BARNET

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